La pandémie du COVID-19, dans une certaine mesure, a mis à nu les difficultés des systèmes de santé des pays à faire face à une crise sanitaire d’une telle ampleur. Pour s’en rendre compte, il suffit de considérer la propagation rapide du virus et son lot de morts notamment dans certains pays occidentaux. Dans le but d’en endiguer la propagation, vers la fin du mois de mars, pas moins de 173 pays ont imposé des restrictions de voyage et, dans certains cas, la fermeture des frontières. Cependant, pour certains pays, un fossé se creuse entre l’adoption et l’application de ces mesures. C’est le cas d’Haïti qui, malgré les dispositions annonçant la fermeture des frontières, et aéroports au transport des personnes depuis le 19 mars, continue d’accueillir des flux de migrants de retour des Etats-Unis et de la République Dominicaine. Dans ce contexte de crise sanitaire mondiale, ces vagues de déportation et de migration de retour vont fragiliser davantage le système de santé du pays, lequel était déjà caractérisé par une capacité limitée à répondre aux besoins de la population.
Les déportations des Etats-Unis, un vecteur de propagation du coronavirus
Durant la pandémie , l’administration américaine a déporté des milliers de personnes dans des pays d’Amérique centrale et des Caraïbes : 18,000 pour le mois de mars et environs 3,000 pour les 11 premiers jours du mois d’avril. Plusieurs pays ont rapporté des cas de COVID-19 parmi ces migrants déportés : plus de 200 au Guatemala, au moins 2 au Mexique et d’autres en Haïti. Selon Jean N. B. Delva, Directeur de l’Office National pour la Migration (ONM), qui intervenait sur Radio Vision 2000 à l’émission « Invité du jour » le 15 mai dernier, l’administration américaine a déporté plus de 500 migrants en Haïti durant la pandémie aux Etats-Unis. Selon les officiels, parmi ces migrants au moins 3 ont été testés positif au COVID-19. Si ces déportations continuent, cela risque d’avoir des conséquences encore plus dramatiques pour des pays comme Haïti, surtout quand on considère que les migrants ne sont pas nécessairement testés avant leur déportation. De plus, le COVID-19 semble se propager rapidement dans les centres de détention de migrants aux Etats-Unis. Dans les deux premières semaines du mois de mai, sur les 30,000 migrants que comptaient ces centres, environs 1,000 cas de COVID-19 ont été détectés sur seulement 1,800 test réalisés.
Les mouvements de migrants à la frontière avec la République Dominicaine
La République Dominicaine compte actuellement 17,572 cas confirmés de personnes contaminées au COVID-19 et 502 morts. C’est le pays le plus touché dans la Caraïbe. Cette situation implique nécessairement des conséquence pour Haïti car, en plus du partage des frontières, la République Dominicaine est le deuxième pays de destination des migrants haïtiens après les Etats-Unis On estime à 500,000 le nombre d’Haïtiens travaillant en République Dominicaine. Pendant la crise du COVID-19, le statut légal temporaire d’environs 150,000 migrants haïtiens a été suspendu et beaucoup de travailleurs sans papiers ont perdu leur emploi. Ainsi, en plus des déportations habituelles du gouvernement dominicain, des milliers de migrants haïtiens ont fui la République Dominicaine durant cette crise. D’après le Directeur de l’ONM, 21,000 migrants étaient déjà de retour au pays vers la mi-mai. Néanmoins, ces chiffres sont à prendre avec recul puisque, selon M. Delva, le gouvernement haïtien ne contrôle que les 5 points de passage officiels sur la frontière alors qu’il y a au moins 100 points de passage. Beaucoup de migrants ont traversé dans les points non contrôlés sans se faire dépister . Cette migration de retour de la République Dominicaine est devenue un des vecteurs principaux de propagation du virus en Haïti. D’ailleurs pour le seul point de control de Belladère, plus de 30 de personnes testées positif au coronavirus ont été recensés.
Les difficultés d’Haïti à faire face à la crise
Les premiers cas de COVID-19 ont été déclarés en Haïti le 19 Mars 2020. Le gouvernement a alors pris un ensemble de mesures pour essayer de contenir la propagation du virus telles que la déclaration de l’état d’urgence sur tout le territoire national, la fermeture des écoles et des usines, entre autres. Le port du masque a récemment été rendu obligatoire dans tous les lieux publics à travers un décret présidentiel pris le 21 mai dernier. Cependant ces dispositions n’ont pas pu empêcher la propagation du virus. Selon les derniers chiffres publiés à la date du 1er juin par le Ministère de la Santé publique et de la Population, 2,226 cas de COVID-19 ont été confirmés dans le pays, parmi lesquels 45 morts. Les chiffres réels de personnes contaminées sont probablement beaucoup plus élevés puisque le pays dispose de capacités assez limitées d’effectuer des tests. Depuis l’annonce des premiers cas en Haïti jusqu’à la date du 21 mai, le pays n’a administré qu’un peu plus de 2,100 tests de COVID-19. Ce chiffre indique aussi que la grande majorité des migrants de retour n’ont pas été testés. Cette situation inquiète car bien avant la pandémie le pays ne disposait que de 124 lits et 62 ventilateurs de soins intensifs. Pour le moment, seulement quatre centres médicaux traitent les malades du COVID-19 avec une capacité totale de 200 lits.
Dans un tel contexte, à défaut de pouvoir arrêter totalement les déportations et le retour des migrants durant la pandémie du coronavirus, il est urgent que des dispositions soient prises pour les encadrer afin d’éviter davantage de contamination dans les communautés.